Littérature Afro
Histoire de vie :
vie d’enfant fille, vie de femme, vie de mère
Témoignage
Je suis Agnès SAGBO épouse ADJOU-MOUMOUNI, née dans une famille modeste, d’un père humble, brave, fier, rigoureux, intransigeant sur les principes moraux et d’une mère forte, audacieuse avec une grande maîtrise d’elle-même. Je suis Sociologue-Anthropologue de formation, planificatrice des ressources humaines et spécialiste en développement communautaire maintenant à la retraite.
Mon enfance en tant que fille
Je suis née à Bembèrèkè, une contrée du Nord Est de la République du Bénin (Afrique de l’Ouest) où j’ai fait mes premiers pas. Ensuite, j’ai grandi dans une ville du Sud, Cotonou, avec mon papa, mon frère et ma sœur. J’ai mûri dans un contexte où les soirs, les aînés nous relataient des contes, des faits et événements passés. Ils animaient en outre des séances de devinettes. La communication était empreinte de dictons et de proverbes. J’ai appris à tirer des leçons, des enseignements de tous les récits que j’écoutais et de toutes les situations qui se présentaient à moi pour forger mon caractère et m’armer pour la vie de groupe et en société ; je dirai tout simplement pour bâtir mon devenir.
Aînée de mon père, j’ai été élevée par lui en l’absence de ma mère restée à Bembèrèkè, ma ville de naissance. J’ai bénéficié tout naturellement du droit d’aînesse et j’ai commencé à mesurer très tôt la charge qui serait la mienne plus tard à l’âge adulte. J’avoue que je n’y voyais aucune contrainte.
Avec ma grand-mère et mes tantes paternelles, j’ai été mise rapidement face à ma vie de fille et de femme et c’est avec aisance que j’assumais les tâches qui me revenaient. J’ai vu mes tantes s’occuper de leurs époux comme des rois. Les meilleurs repas, les meilleures assiettes, les meilleurs de tout étaient pour le chef de famille. Il était adulé. Je les voyais rire entre époux et épouses, se dire des blagues, se taquiner mais aussi se dire des « mots forts ». Ce qui est intéressant est que, tout revenait toujours dans l’ordre. J’ai été élevée dans la bonne humeur, le respect de l’autre, de la personne âgée mais j’étais aussi très écoutée. Ce qui a vraiment contribué à mon ouverture d’esprit. Je suis aussi docile qu’audacieuse.
C’est avec celui qui est devenu mon époux que j’ai eu tous mes diplômes scolaires et universitaires.
Je me rappelle bien quand il venait à la maison, les propos de ma grand-mère paternelle : « de tout ce monde qui vient ici, c’est le piéton que tu as choisi ». Ma réponse a été claire : « je préfère construire avec quelqu’un que de tomber sur du tout fait ».
L’une de mes tantes que j’affectionnais bien faisait toujours une petite blague pour m’avertir de l’arrivée de mon copain chez nous. Dès qu’elle l’aperçoit, elle dit en ces termes « ton monsieur toujours pressé arrive ». La parole des tantes dans nos familles ayant une charge, je lui répondais chaque fois « Tante, je l’aime bien ». Avec le temps, le langage de ma tante a évolué en ceci « celui que tu aimes bien est là ». Je percevais ses propos comme une bénédiction.
Il faut avouer que c’est un brave Monsieur, responsable, très altruiste avec un sens élevé de l’honneur. Il a fini par avoir l’estime de toute la famille. Ma famille m’a rassurée de la notoriété de sa famille, des valeurs qu’elle incarnait, notamment de leur crainte de Dieu et partant de leur amour pour le prochain. J’avais donc fait le bon choix et j’en ai rendu grâce à Dieu.
Et nous voilà ensemble officiellement mariés depuis août 1978. Le long temps passé à nous connaitre, a renforcé les liens entre les deux familles dont les membres se connaissaient plus ou moins avant nous deux.
Ma vie de femme, d’épouse et de mère
J’avoue que j’ai été acceptée dans ma belle-famille comme leur propre enfant. J’échangeais avec les parents de mon époux, ses frères et sœurs comme les miens. Ma belle-mère constatant ma naïveté attirait mon attention sur certains comportements de son fils. Elle m’a appris à manger un peu à la cuisine dans l’attente de l’arrivée de mon époux, Officier des Armées, à la maison.
Elle m’a aussi appris à garder mes sous au lieu de tout mettre à la disposition de mon époux. Elle m’a dit un jour en ces termes, après nous avoir bien observés, mon époux et moi : « Si ton mari te demande de lui prêter de l’argent, si par exemple c’est 500 francs CFA qu’il veut, dis-lui que tu n’as que 100 frs et tu lui en fais don ». Elle ajoute « si l’argent de la femme ne finit pas, l’homme ne sort pas toujours le sien car dans le manque, la femme est sous domination, ce qui arrange l’homme. Aies toujours le peu qu’il te faut pour garantir ton indépendance ». J’ai compris par là qu’il faut éviter les questions de prêts dans le couple et savoir assurer ses arrières. J’ai retenu cette belle phrase de ma belle-mère : « ce que j’ai souffert, je l’éviterai à d’autres filles. J’aime mon fils et je veux qu’il soit heureux ».
Il est important que je souligne ici que pour mes parents, mon époux est quelqu’un de bien. Je ne peux même pas oser aller me plaindre de lui pour quoi que ce soit à qui que ce soit.
Dans le même temps, mon époux ne permettait à aucun membre de sa famille de lui parler de son épouse. La façon dont il leur parlait parfois ne me plaisait pas et je le rectifiais jusqu’à ce qu’une personne d’un certain âge m’ait fait observer que le fait que mon époux ne favorisait pas de commentaires sur notre vie de famille s’inscrivait dans la préservation de notre couple, de notre bonheur et de notre épanouissement.
Pour mon époux, je ne dois pas répandre dans nos familles, les dons qu’il me fait. Selon lui, le bonheur est intime, il se vit, il ne se divulgue pas.
Il y a des phrases des personnes âgées que je côtoie tous les jours qui ont forgé mon caractère et mon abnégation :
– « N’attends pas ton bonheur de quelqu’un ; si tu l’as avec ton conjoint, rends grâce. Dans le cas contraire crée ton bonheur, il attirera ton conjoint ».
– « La meilleure vie, c’est celle de la vieillesse. Il faut donc travailler sans relâche pendant que tu en as la force pour avoir une vieillesse heureuse. Cela t’évitera d’être une charge pour tes enfants plus tard car ils ont aussi besoin de bâtir leur vie »
– « Quand tu as un enfant pourri, mal éduqué, tu meurs à petits coups »
– « Quand ton enfant ne réalise pas plus que toi dans la vie, tu as échoué dans ton rôle d’éducateur, de parent ». L’élève doit dépasser le maître.
– « Dans ton foyer, fait toujours bien ce que tu as à faire, ne t’occupe pas du reste, cela te sauvera. »
C’est sur ces phrases qui m’ont marquée que j’ai axé ma vie et l’éducation de mes enfants. Je ne peux dire aujourd’hui avec exactitude comment j’ai pu faire certaines choses. J’avançais tout simplement parce que j’ai horreur de la stagnation. Je me suis fixé des objectifs, je devais m’atteler à les atteindre. Il s’agit notamment du bien-être de mes enfants et de ma famille. J’ai la conviction qu’il y a un Être Suprême. J’évoquais donc le Tout-Puissant à tout moment.
– Je ne sais pas battre les enfants mais je parle beaucoup et j’aime aussi écouter.
– Il n’y a pas de sujets tabous avec moi.
– Je suis des feuilletons qui passent à la télévision avec les enfants.
– Je fais aussi l’effort de répondre à leurs questionnements.
– Je chante et danse avec eux, nous rigolons ensemble.
– Il m’est arrivé d’interdire l’accès de notre domicile à certains de leurs camarades dont la compagnie ne me plaisait pas.
Mon souci est que les enfants aient le cadre adéquat pour leur éveil et qu’ils sachent que la vérité est à la maison pas dehors avec les camarades.
J’étais connue dans tous les établissements fréquentés par chacun de mes enfants pour leur suivi. Cela me paraît primordial pour leur développement harmonieux.
Quand je suis fâchée, mes enfants savent présenter leurs excuses et cela me suffit.
Ai-je réussi ? Avons-nous réussi ? Je ne saurai le dire. Pour moi, tout n’est pas parfait. Il y a une insatisfaction au fond de moi –même.
Cependant, des propos de mon époux et de mes enfants m’amènent à réaliser que nous avons quand même fait du chemin. S’ils sont contents et fiers, notre objectif commun est atteint et nous en rendons grâce à Dieu.
Mon époux m’a dit un jour :
« Ce que les enfants sont devenus, c’est à toi que je le dois. Si tu devais te fâcher pour tout ce que je fais et tout ce que je dis, on ne serait pas là où on est aujourd’hui. »
Mes réponses sont :
« Nous devons tout à Dieu. Notre aura ensemble a été le ferment qui a favorisé ce dont tu parles. Je n’ai pas de mérite particulier ».
C’est vrai ! Pour moi, j’ai fait mon devoir et je le poursuivrai. Mais, il faut signaler que j’ai une force qui fait que même offensée, énervée, je m’applique à bien faire ce que j’ai à faire. Car, dans ma conception de la vie, rien de négatif ne doit réussir à me perturber et m’empêcher d’atteindre mon but.
Mon aînée m’a fait savoir un jour ce qui suit en ces termes :
« Maman, tu sais ! Même quand Papa dit non à quelque chose et tu es convaincue et tu t’engages ça marche toujours ».
Ma réponse est « l’inspiration est divine ».
Je comprends et en déduis que quand la femme cultive la spiritualité, la vraie, elle transcende beaucoup d’obstacles et parvient à atteindre son objectif.
Un des garçons me demande un jour :
« Comment tu as fait pour intégrer la famille de papa comme ça ? On ne dirait pas que tu viens d’ailleurs ».
Je lui ai répondu ceci :
« Je fais la sourde oreille, je respecte les opinions de chacun, et je sais et fais toujours ce que je dois faire pour être respectée ».
Une de mes filles me demande souvent comment j’ai pu supporter ceci et cela:
Ma réponse est : « je ne sais pas ».
Et c’est vrai, je ne peux plus revenir sur certaines choses aujourd’hui. Tout dépend du contexte, des circonstances, on se tait face à une situation sans comprendre les raisons. On réagit parfois, et on se dit « je n’aurais pas dû ».
Disons-nous tout simplement que « Tout passe ».
Plaise à Dieu que nous ayons la bonne attitude au bon moment. C’est cela qui donne l’altitude, la hauteur.
Le dernier propos qui m’a fait beaucoup réfléchir vient de mon aînée. Elle me dit :
« Maman, tu es sévère, rigoureuse ; tu as trop de principes. Mais partout où nous allons, les gens trouvent que nous sommes bien éduqués ». Des propos similaires ont été adressés par mon grand garçon à leur père, il n’y a pas longtemps.
J’ai trouvé cela réconfortant.
Tout n’a pas été tout le temps rose. Rien n’a été fait sans difficultés. C’est le lieu de témoigner encore une fois ma gratitude à ma mère, à la mère de mon époux, à toutes « les dadas » (les assistantes domestiques qui se sont succédées). Ces femmes merveilleuses m’ont accompagnée dans mon parcours de mère. Elles gardaient les enfants et la maison pendant mes multiples déplacements professionnels.
Je n’oublie pas mes enfants et leur père. Je leur adresse mes sincères remerciements pour l’écoute, la compréhension et la tolérance. L’aînée devait s’occuper des plus jeunes, le plus grand devait accorder la meilleure attention au plus jeune que lui. Papa devait tout coordonner quand maman était en mission professionnelle. C’est ainsi que nous avons construit notre cohésion.
Une pensée forte et pleine d’affection pour chacun, chacune, tous et toutes.
Ma fille Sandra m’a demandé un témoignage pour la fête des mères. Je réponds ainsi à sa demande.
Ce que je peux dire pour conclure mon propos est ceci : « j’ai reproduit ce que j’ai reçu en y ajoutant un peu de moi-même ».
Je souhaite une merveilleuse fête des mères à toutes les femmes. C’est un bonheur et une grâce d’être mère, maman. Soyons fières d’être des femmes.
Je vous remercie pour votre attention.
Par Agnès SAGBO épouse ADJOU-MOUMOUNI