Littérature Afro ☀
Le « Griot »
Le porteur de la parole en Afrique

De nos jours, le mot « griot » est entré dans la langue française pour désigner les généalogistes traditionalistes africains. En Afrique, les griots sont les gens de la parole, au sens originel d’action. « Cette parole-là est leur attribut le plus essentiel », déclare Sory Camara dans son étude : Gens de la parole, parue aux éditions Mouton en 1976. Ainsi, il n’est pas étonnant que, dans bien des circonstances, on fasse appel à eux pour transmettre ce que l’on veut dire.
Il est essentiel de souligner qu’en Afrique Noire, avant l’époque coloniale et bien avant encore, la littérature était orale et en langue locale. Par cela, sa conservation ainsi que sa transmission de génération en génération étaient l’apanage des maîtres de la parole, plus spécialement du porteur de la parole : le griot. Cette littérature orale était très active ; elle participait à la vie communautaire au même titre que les autres activités, telles la chasse ou la construction. L’absence de toute écriture a beaucoup favorisé l’art du griot et son évolution.
Comment devenir un Griot?
Dans les villages, le jeune homme destiné à être griot ne commencera son apprentissage véritable qu’après la circoncision. Il s’agit d’un métier attribué aux hommes mais également aux femmes. L’adolescent commencera à apprendre et à réciter l’histoire généalogique des clans de son village et de son pays. Bien souvent, il se spécialisera dans le jeu d’un instrument de musique ou de deux. Mais, vous vous en doutez bien, il ne suffit pas de connaître des généalogies et de savoir jouer d’un instrument de musique pour être un bon griot. Le jeune candidat cherchera d’abord à s’attacher à une famille influente (politiquement), pour être protégé.
Bien qu’il ait approfondi ses connaissances historiques dans une région particulière et un clan donné, il évitera, s’il est malin, de devenir un spécialiste borné de l’histoire d’une famille quelconque ou d’un clan. Car même en Afrique, la fortune est fort changeante. Il arrive fréquemment qu’une famille sans fortune, effacée, puisse acquérir, du jour au lendemain, une position sociale enviable et une influence politique remarquable ; dans ce cas, gare au griot ! Bien souvent, c’est au moment d’un changement d’influence qu’on reconnaît le bon griot : il se doit d’être rusé et jamais pris au dépourvu, d’être toujours bien informé, donc, sur la plupart des clans de son village et de sa région. Les connaissances du griot doivent lui assurer une certaine mobilité…
Quotidien et pratique de l’art du griot !
Les plus importants griots sont ceux à qui les instruments de musique laissent une grande disponibilité pour la parole (qui leur permettent des récits chantés ou récités). Certains griots ne disposent que de la parole, alors que la parole d’autres griots, chantée ou non, est soutenue par la musique. Il en existe, enfin, qui ne font que jouer des instruments à vent ou à percussion. Malgré leurs possibilités ou leur talent musical, c’est surtout en tant que messager au sein de la communauté que les griots se spécialisent. De simples musiciens, ils deviennent l’incarnation même de la mémoire que la société a de son passé et de son histoire. C’est surtout en tant que gens de la parole qu’ils remplissent leurs diverses fonctions d’informateurs, de porteurs de traditions religieuses et profanes (avec le forgeron), de généalogistes, de biographes et de philologues, d’acrobates, d’animateurs des veillées, d’imitateurs et bien plus. Avec le temps, libres d’exercer leur métier, les griots s’illustrent donc dans différents types de manifestations. Ainsi assurent-ils l’animation des veillées. Les « veillées » existent encore, et même à l’époque actuelle dans les cités urbaines. Les conteurs racontent des récits épiques à thème historique, des contes et des aventures extraordinaires, le soir, au moment où l’ambiance est favorable à l’évocation des esprits, du surnaturel. Lors du rituel funèbre, le griot intervient, avec l’orateur du jour, pour chanter les louanges du défunt et de ses proches. Le principe de base de la pratique de son métier est que chaque individu doit connaître les exploits de ses ancêtres. Chaque tribu a donc pour devoir de transmettre oralement, par l’intermédiaire du griot, ses exploits et son histoire, d’une génération à l’autre.
Le griot imitateur, lui, raconte des histoires épiques en imitant les personnages célèbres ou historiques. Il raconte les faits et gestes célèbres. On le retrouve partout. À l’occasion des marchés, pendant les fêtes, lors de la palabre. Ses récits sont animés par des gestes, des imitations et des mimes. Bien souvent, des danseurs masqués et des acrobates accompagnent ses manifestations. Ce phénomène artistique existe encore aujourd’hui sans modification profonde. Les griots bouffons et acrobates se produisent souvent en groupe, avec des musiciens, des danseurs, des bateleurs, des échassiers, des clowns, des jongleurs, des magiciens. Ils s’illustrent particulièrement par la critique qu’ils font de la société. Présents sur les places publiques, les jours de fête, ou dans les cours royales, ils amusent, caricaturent, critiquent habilement et improvisent. Leur répertoire artistique est riche. Le griot principal joue le rôle d’éveilleur de la conscience : celle du peuple autant que celle du roi. Lui seul peut se permettre une telle liberté en public.
Le griot perçoit-il un salaire mensuel ?
Sur le plan économique, les interventions du griot échappent au monde du libre-échange, à la loi de l’offre et de la demande. Rétribuer le griot est une occasion de don : on dit « kopeks », « donner au griot », et non « knouta », « payer le griot », terme dont on use seulement pour signifier la rémunération d’un travail ou d’un service pouvant faire l’objet d’une estimation ou d’une évaluation. Les griots ne se consacrent pas à des activités qui relèvent du domaine des arts manuels ou mécaniques. Ils sont acceptés comme musiciens et comme gens de la parole. Leur statut ne se définit que par le type de rapport qu’ils entretiennent avec les autres membres de la société, que par leur art.
La scène du Griot…
Les différentes tactiques utilisées par les griots se rapprochent, dans le domaine de l’art, de la conception actuelle du chansonnier (en Europe) et du comédien (en Afrique). Voyageur intrépide, il porte son « théâtre » sur lui et avec lui, sur la scène du quotidien. C’est lui qui se rend sur les lieux de la représentation, qui fait de l’espace naturel son espace scénique, parce qu’il n’existe pas d’architecture théâtrale. Tout autour du griot, l’espace naturel, au moment réel de la représentation, devient un espace scénique, privé et respecté par le public. Le spectacle terminé, la scène disparaît ; l’espace occupé, tout autant que le récit, revient à la communauté.

L’art du griot est une forme dramatique très populaire en Afrique ; à tel point que la seule présence physique du griot suffit à établir intensément la communication avec le public. Actuellement, chez les Africains, les contes, les récits de l’homme confronté au cosmos, en dehors de toute préoccupation littéraire, nourrissent les palabres et les rêveries. La lutte contre l’oubli a commencé à l’aide de l’écriture et de l’imprimerie mais, malheureusement, les sociétés, les groupes et les institutions qui doivent veiller à la survie de la « culture de base » assurent plutôt l’immatriculation des individus par des modèles autres et étrangers.
Source : Le « griot » : le porteur de la parole en Afrique. Jeu, (39), 63–66


Aristide OUEDRAOGO
Merci pour le partage très édifiant