Littérature Afro ⭐
Les personnes âgées:
un pont intergénérationnel à exploiter
Amadou Hampâté Bâ, célèbre écrivain malien a dit dans un discours prononcé en 1960 à l’UNESCO* ce qui suit :
« Quand un vieillard meurt c’est une bibliothèque qui brûle en Afrique. »
Cette comparaison entre le vieillard et la bibliothèque vise à attirer l’attention sur la richesse que constitue cette classe d’âge de par sa culture et les témoignages du passé en lien avec le présent et déterminants pour l’avenir. C’est aussi un hommage à la valeur, à l’humanité qu’incarnent les personnes âgées. En Afrique, ils sont de gigantesques monuments oraux à sauver de la destruction par la mort. Ils sont dépositaires de la tradition.
Selon l’écrivain, « Notre sociologie, notre histoire, notre pharmacopée, notre science de la chasse, et de la pêche, notre agriculture, notre science météorologique, tout cela est conservé dans des mémoires d’hommes, d’hommes sujets à la mort et mourant chaque jour ». Pour lui, « La mort de chacun de ces traditionalistes est comme l’incendie d’un fond culturel non exploité ».
À travers ces propos, l’écrivain, Amadou Hampâté Bâ veut nous aider à bien percevoir le poids, l’importance des personnes âgées dans les familles, dans les sociétés, dans le monde en général et en Afrique en particulier. Il faut donc savoir et pouvoir tirer le plus possible d’eux avant la fin de leur pèlerinage terrestre afin de préparer une relève basée sur la connaissance de nos origines.
En effet, l’âge implique une somme d’expériences, de savoir-faire, de connaissances, de sagesse, d’enseignements, de leçons tirées de la vie et des acquis de chaque moment fort de cette dernière. Ces acquis pourraient être mis à la disposition de la jeune génération pour l’aider à affronter les événements de la vie, à pouvoir les transcender ou les exploiter pour l’édification du futur et une contribution de qualité à la construction de l’humanité. Un proverbe africain dit: « C’est au bout de la vieille corde qu’on tisse la nouvelle ».
Le 14 décembre 1990, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé le 1er octobre Journée internationale des personnes âgées, date retenue pour les honorer à l’échelle mondiale. C’est un moment de plus pour accorder une attention méritée à ces personnes que nous appelons affectueusement : les vieux, les vieilles, mamie, papi, grand papa, grand maman, les anciens, la vieille génération et que sais-je encore. Nous utilisons même des dénominations ou diminutifs qui témoignent de ce qu’elles représentent ou de la place qu’elles occupent dans nos vies, dans nos familles et dans nos sociétés. C’est une juste reconnaissance de ce qu’elles ont été, de ce qu’elles continuent d’être et même de leur utilité et importance dans ce monde qui se déshumanise progressivement.
Ces ainés sont là avant nous, ils sont déjà allés plus loin que nous dans la vie, ils sont des Maîtres, car ils peuvent s’occuper de nous, nous guider, nous instruire, nous protéger.
Ils possèdent des qualités et jouent un rôle fondamental dans les familles et la société. Ils constituent des références. Ils sont les garants de la tradition dont ils ont le devoir d’assurer la transmission.
Prenons l’exemple des grands parents.
Les grands-parents ont une grande place dans la vie et l’éducation des petits enfants. Aimants, ils sont très présents dans le quotidien des parents et peuvent devenir une aide quand ils vivent à proximité. Il y a beaucoup de petits fils qui sont élevés par leurs grands-parents et fiers de l’avoir été.
Disponibles, ils sont les « éveilleurs de curiosité » et les protecteurs de leurs petits-enfants. Ils jouent généralement un rôle primordial dans leur formation à travers l’écoute, le dialogue, l’appui à l’apprentissage, le conseil et la transmission du savoir-faire, du savoir-être, du savoir-vivre et du patrimoine familial.
Ayant achevé leur carrière professionnelle, ils sont moins stressés que les parents, et font preuve de plus de patience pour apprendre à leurs petits-enfants les gestes du quotidien, les risques de la vie et les conséquences de chaque acte qu’ils posent. Ils assurent l’heure du conte et en dégagent des leçons de vie pour leurs petits-enfants.
D’un autre côté, ils sont moins fusionnels que les parents et savent faire office d’autorité en cas de besoin.
Un atout important des grands parents est qu’ils savent retrouver le goût de jouer, et les petits-fils aiment bien qu’on leur consacre du temps. Ils laissent volontiers ces petits curieux explorer leur environnement, partir à la découverte du monde tout en attirant leur attention sur les risques inhérents à la curiosité malsaine.
Les Grands parents sont aussi généreux, ils arrivent souvent les bras chargés de cadeaux pour leurs petits-fils.
Une autre caractéristique appréciable des grands-parents est leur aptitude à susciter les confidences. Ils connaissent souvent tous les secrets de leurs petits-enfants ; ils ne jugent pas et œuvrent à concilier les oppositions. Ils voient tout et dénoncent aussi quand c’est nécessaire.
Ils assurent ainsi une certaine stabilité sociale par les vertus qu’ils incarnent à travers l’exemplarité.
On répète souvent le verset biblique « la mort et la vie sont au pouvoir de la langue » (Bible, Proverbes 18 :21) : les personnes âgées, les grands parents ont de la densité dans leurs interventions de par les enseignements de la vie, la maturité. Ils connaissent la force et la puissance de la parole et savent en user avec modération. À cet âge, ils sont plus portés à bénir qu’à maudire ou médire.
Ils ont l’écoute attentive, savent consoler en cas de besoin et arranger toutes les situations dans les familles sans nécessairement s’immiscer dans les foyers de leurs enfants. Dans la société, ils s’investissent dans le bénévolat et les œuvres sociales.
Il faut avouer que tout n’est pas aussi beau que décrit. Les grands-parents ne sont pas des êtres parfaits, aucun être humain d’ailleurs. Leur personnalité, leur caractère, leurs défauts peuvent constituer des obstacles à une bonne relation avec leurs petits-enfants. Il faut trouver la bonne formule pour qu’ils ne s’interposent pas entre leurs petits enfants et les parents et entre le couple. Ils sont un appui de taille quand on est dans le besoin et que la relation est cultivée.
C’est rassurant de savoir que ce ne sont pas les réseaux sociaux qui fournissent aux petits-fils des réponses à leurs préoccupations, mais plutôt des adultes de confiance et bienveillants. Laissons donc les grands-parents et les personnes âgées prendre leur juste place dans nos familles afin de ne priver les enfants d’appuis qui pourront être déterminants dans leur construction.
Vieillir est une grâce disait ma mère et elle ajoutait « que Dieu vous donne de vieillir ». Oui, il n’est pas donné à tout le monde de vieillir.
Hâtons-nous de tirer le maximum de nos parents, grands-parents, personnes âgées avant que la mort ne nous les arrache.
Honorons-les de leur vivant, accordons leur toute l’attention qu’ils méritent ici et maintenant avant qu’il ne soit trop tard. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » disait Antoine Laurent de Lavoisier. Reconnaître les contributions des personnes âgées dans la construction des familles et de la société aiderait à faire de notre société, une société intergénérationnelle bénéfique pour tous.
Par : Agnès SAGBO épouse ADJOU MOUMOUNI
*UNESCO = Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture